Les contrats d'exploitation de brevets en droit privé

AuteurJoanna Schmidt-Szalewski
Occupation de l'auteurProfesseur à l'université Robert Schuman, Strasbourg, professeur au CEIPI
Pages5-18

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Les contrats sont la vie des brevets d'invention, qui sont faits pour être exploités.

Droits de propriété sur un objet immatériel, l'invention, les brevets représentent une valeur économique dans le patrimoine de leur titulaire. Or, une enquête récente montre que la plupart des entreprises françaises ignorent la valeur de leurs droits de propriété intellectuelle et n'ont d'ailleurs jamais cherché à l'évaluer. Ces entreprises considèrent généralement les brevets d'un point de vue négatif, comme des armes contre les tiers contrefacteurs. Il ne faut pas oublier toutefois que les brevets sont également des instruments de coopération avec les tiers. En effet, le titulaire d'un droit exclusif, s'il est libre d'interdire aux tiers l'exploitation, est également libre de les y autoriser.

Pareille autorisation est matérialisée par un contrat conclu entre le breveté et le tiers intéressé par l'exploitation de l'invention protégée. Le brevet peut être l'objet d'un contrat quelconque, parmi ceux nommés par le Code civil : il peut être vendu, loué, échangé, donné, apporté à une société, mis en gage, etc. Il peut être également l'objet de contrats atypiques, innommés, non envisagés par le Code civil, mais créés par la pratique, telle que la convention de non-opposition, par exemple1.

Quelles sont les règles applicables à ces contrats ? Le Code de la propriété intellectuelle se contente de poser quelques règles générales, complétées par des règles de forme, mais ne comporte pas de régime juridique complet de ces contrats (à la différence de ceux portant sur les droits d'auteur et droits voisins). Dans son article L. 613-8, il admet ainsi la possibilité de transmission ou de licence des droits attachés à un brevet ou une demande de brevet. Il pose, ensuite, des règles de forme : les contrats sur brevets doivent être passés par écrit pour être valables (art. L. 613-8, al. 5); ils doivent être publiés au registre national des brevets pour être opposables aux tiers (art. L. 613-9)2 ; les contrats de transfert de techniques avec une personne domiciliée ou établie à l'étranger doivent être déclarés auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (art. R. 624-1).

En réalité, les règles applicables aux contrats sur brevets doivent être recherchées ailleurs que dans le Code de la propriété intellectuelle : d'une part, dans le droit de la concurrence français et communautaire (le professeur Vivant en parlera cet après-midi) et, d'autre part, dans le Code civil.

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Quel que soit son objet et sa nature juridique, un contrat sur brevet doit respecter les règles générales du droit des obligations et celles du droit des contrats3. De plus, il est soumis aux règles régissant la catégorie contractuelle à laquelle il appartient. Ainsi, la cession de brevets est une vente (art. 1582 à 1701, C. civil); l'apport en société obéit aux règles applicables aux apports en nature dans chaque type de société, etc.

Ces règles du Code civil s'appliquent d'office à tous les contrats et forment, en quelque sorte, un" filet de sécurité " pour les contractants. Certaines de ces règles, peu nombreuses, sont impératives et ne peu- vent pas être écartées par des clauses contraires du contrat; d'autres sont supplétives et peuvent être exclues par les contractants.

Mon exposé pourrait ainsi s'arrêter ici, par un renvoi pur et simple au Code civil. Cependant, les contrats d'exploitation de brevets d'invention méritent une étude plus approfondie, en raison de la spécificité de leur objet, qui consiste dans l'autorisation d'exploiter une invention brevetée.

J'envisagerai ici la licence de brevet, contrat d'exploitation par excellence; en effet, les autres contrats n'impliquent pas une coopération prolongée dans le temps et pour cette raison ont moins d'originalité. La licence de brevet est un contrat par lequel le breveté autorise l'exploitation de son droit à un licencié moyennant le paiement d'une contrepartie. On retrouve dans cette définition les éléments caractéristiques du contrat de louage de choses; c'est, en effet, cette qualification qui est retenue par la doctrine dominante4 et la jurisprudence5. Ne sont pas qualifiés de licence les contrats qui ne répondent pas à cette définition6.

La licence obéit donc aux règles du contrat de louage de choses (art. 1708 et s., C. civil). On est cependant en droit de se demander si les règles du Code civil s'appliquent telles quelles, ou si leur application présente une certaine spécificité, justifiée par celle de l'objet du contrat. Si Page 7 pareille spécificité existe, elle est susceptible de se manifester d'une part à propos de l'objet de l'autorisation d'exploiter le brevet et, d'autre part, à propos du contenu de cette autorisation.

1. L'objet de l'autorisation d'exploiter le brevet

L'autorisation d'exploiter a pour objet le droit exclusif résultant du brevet ou de la demande de brevet. L'existence de cet objet est une condition de validité du contrat et doit donc être vérifiée lors de sa conclusion. Mais puisque la licence est un contrat à exécution successive, qui s'exé- cute pendant une durée de temps, son objet initial est susceptible d'évoluer, de subir des" avatars ".

1.1. Existence de l'objet initial

Une obligation doit avoir un objet existant (art. 1126, C. civil). Cette existence s'entend dans un sens primaire, matériel, mais, s'agissant d'un objet incorporel, elle s'entend aussi dans un sens juridique.

1.1.1. Existence matérielle de l'objet

Comme tout contrat, le louage peut porter sur une chose qui existe, ou qui existera dans le futur (art. 1130, C. civil). On peut, ainsi, concéder une licence sur un brevet déjà délivré, ou sur une demande de brevet7. Dans ce dernier cas, le contrat sera affecté d'une condition (suspensive ou résolutoire, selon la volonté des parties).

L'identification de l'objet du contrat se fait simplement par l'indication du numéro du brevet ou de la demande de brevet; il n'est pas nécessaire de décrire plus précisément l'invention considérée8. En effet, le contrat a pour objet le droit exclusif né du brevet et non une invention non brevetée, libre de droit. La Cour de cassation en a tiré la conséquence logique : en absence de brevet, la prétendue" licence " est nulle, faute d'objet9.

La définition de ces accessoires du brevet est aussi délicate à propos de la licence de brevet qu'à propos du louage en général. Les juges doivent examiner le contrat afin de déterminer quelle était l'étendue de la jouissance prévue par les parties. Comme à propos de la cession, le problème le plus discuté est le sort du savoir-faire et des perfectionne- Page 8ments de l'invention brevetée. Ils ne constituent pas des accessoires qui s'incluent automatiquement dans l'objet du contrat. Il convient, dans chaque cas, de se référer à la volonté des parties et, en son absence, de combler les lacunes du contrat par référence à" l'équité, l'usage ou la loi " (C. civil, art. 1135). Pour cette raison, les rares décisions intervenues ne posent pas de règle générale; il a été jugé, par exemple, que le breveté devait communiquer le savoir-faire déjà développé, afin de permettre une exploitation correcte de l'invention par le licencié10. Pareillement, s'agissant de l'assistance technique, il a été jugé qu'en absence de clause, le breveté n'avait pas l'obligation de la fournir au licencié11; l'assistance peut toutefois devenir un accessoire nécessaire du contrat, lorsqu'elle présente une utilité particulière pour le licencié12.

En raison de son caractère immatériel, l'objet de la licence pose plus souvent le problème de son existence juridique.

1.1.2. Existence juridique de l'objet

La licence doit avoir pour objet un droit qui existe juridiquement, c'està-dire qui est valable. Le brevet, bien que délivré après un examen administratif préalable, est simplement présumé valable jusqu'à ce qu'un tribunal en prononce l'annulation, à la demande d'une personne titulaire du droit d'agir en nullité et qui apporte la preuve de l'une des causes de nullité prévues à l'article L. 613-2513. La décision définitive d'annulation, qu'elle soit totale ou partielle (art. L. 613-25, dernier alinéa), a un effet absolu et rétroactif; le brevet est anéanti depuis la demande et envers tous. La licence se trouve ainsi privée d'objet ab initio et devient à son tour nulle de plein droit14.

Pareille situation est une source de difficultés économiques importantes pour les parties, puisqu'elle entraîne la disparition rétroactive du droit exclusif et l'obligation de restituer les prestations déjà exécutées. Ces problèmes peuvent être réglés par avance dans le contrat de licence, mais leur traitement doit tenir compte de la qualité de la personne ayant demandé l'annulation : breveté, licencié ou tiers.

a) La nullité demandée par le breveté

Un calcul économique, comparant les bénéfices et les contraintes d'une licence exclusive à ceux de la libre exploitation de l'invention, peut Page 9 parfois justifier l'intérêt du concédant à l'annulation du brevet15. Pareil résultat conduit à priver le licencié des avantages de la licence et peut être analysé comme une éviction...

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