L'élaboration progressive d'une protection pour l'ensemble du vivant

AuteurMarie-Catherine Chemtob-Concé
Occupation de l'auteurDocteur en droit de l’université Paris II (Panthéon-Assas), maître de conférences des universités UFR de médecine et pharmacie de Rouen université de Rouen
Pages19-34

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Le vivant est brevetable et/ou protégeable par un droit de propriété industrielle voisin, mais s'agit-il de l'ensemble du vivant ?

Plusieurs décisions illustrent que progressivement ont fait l'objet d'une protection :

- les produits obtenus par des procédés microbiologiques (Section I) ;

- les micro-organismes en tant qu'inventions de produits (Section II) ;

- les innovations en matière végétale (Section III) ;

- les innovations en matière animale (Section IV) ;

- la matière biologique d'origine humaine à l'exclusion de l'être humain en tant que tel (SectionV).

Section I La brevetabilité des produits obtenus par des procédés microbiologiques

La brevetabilité des produits obtenus par des procédés microbiologiques fut admise assez tôt.

Les premières revendications s'apparentant à une brevetabilité du vivant concernent des procédés traitant d'activité manifestée par des micro-organismes (bactéries, levures). Elles sont contemporaines de l'essor de la microbiologie pasteurienne et des biotechnologies liées à leur utilisation48.

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Et pendant plus de cent ans, des brevets sont délivrés pour diverses compositions contenant des micro-organismes vivants, tels que des compositions de levures pour l'alimentation, des vaccins contenant des bactéries atténuées, des bactéries insecticides49. Ces produits correspondent généralement à des produits chimiques ou des composants cellulaires, tels les enzymes, les protéines ou les organismes cellulaires.

Section II La brevetabilité des micro-organismes en tant qu'inventions de produits

Les inventions de produits ont toujours suscité plus de difficultés, celles-ci croissant au fur et à mesure que l'on s'élève dans l'échelle de l'évolution biologique, et la question de la brevetabilité d'un micro-organisme en tant qu'invention de produit n'a été tranchée dans un sens favorable que récemment.

Suite à l'essor du génie génétique, la Cour suprême allemande admet la première une telle revendication dans l'affaire Bäkerhefe50 où un procédé de multiplication de micro-organismes est soumis aux conditions de protection pour une invention de produit.

Elle est suivie, en 1980, par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Chakrabarty51. Dans cette espèce, le microbiologiste Amanda Chakrabarty avait manipulé génétiquement une bactérie pour lui permettre de combattre les marées noires, c'est-à-dire que les bactéries clonées, ayant reçu un patrimoine génétique particulier, avaient artificiellement acquis la propriété de dégrader, et par conséquent d'éliminer, des hydrocarbures. Les deux types de revendications concernaient le procédé de fabrication de la bactérie manipulée et la bactérie elle-même. L'examinateur de l'USPTO accepta la brevetabilité du procédé, mais refusa celle de la bactérie « per se » considérant que le micro-organisme est un « produit de la nature » et par conséquent non brevetable sous la loi américaine.

Cependant la Cour suprême admit la brevetabilité de la bactérie jugeant que : « la demande de brevet ne relevait pas d'un phénomène naturel resté inconnu jusque là, mais d'une « fabrication ou composition de matière » n'existant pas dans la nature, qui est le produit de l'ingéniosité humaine et présente un caractère et une utilité distinctifs reconnus ». Il ne s'agissait donc pas d'un produit de la nature, mais du résultat du travail de l'inventeur ayant produit « une bactérie nouvelle, possédant des caractéristiques nettement différentes de toutes celles qui se trouvent dans la nature et douée d'une utilité potentielle significative ». Cette décision illustre clairement l'absence de distinction opérée par le droit des brevets entre matière animée et matière inanimée, confirmant ainsi que tout produit nonPage 21 naturel, c'est-à-dire fabriqué par l'homme est brevetable. « Tout ce qui existe sous le soleil et a été fait par la main de l'homme est brevetable », l'article 101 de l'USC n'établissant aucune limitation concernant les formes de vie. Cet arrêt eut pour conséquence une stimulation économique importante de l'industrie des biotechnologies dans les années 1980.

La brevetabilité du micro-organisme52 « per se » fut aussi reconnue peu de temps après en Europe. En revanche, la brevetabilité d'un micro-organisme simplement isolé de source naturelle n'est pas admise en vertu du principe d'exclusion de la brevetabilité des découvertes.

Le droit des brevets exclut donc la protection de la découverte scientifique en tant que telle, mais, associée à une indication de son application industrielle, l'invention est brevetable53. Donc, si le micro-organisme tel qu'il existe dans la nature ne peut être breveté, la solution est différente lorsqu'il s'agit d'une culture pure, ce qui suppose un procédé de sélection et d'isolement des souches.

Le siège de l'activité inventive ne sera alors pas nécessairement le procédé de sélection qui a rendu possible l'isolement du micro-organisme, mais plutôt le degré technique réalisé par l'utilisation de ce micro-organisme54.

Section III La brevetabilité des innovations en matière végétale

La Chambre de recours technique de l'OEB inaugura le 26 juillet 1983, par la décision « Matériels de reproduction des végétaux/Ciba Geigy55 » l'approche restrictive des exceptions à la brevetabilité en posant pour principe que : « la convention sur le brevet européen ne prévoit pas d'exclusion générale de la brevetabilité des inventions ayant trait à la matière vivante ». Ici, l'invention revendiquée n'appartenait pas au domaine des obtentions végétales. Elle consistait à influencer parPage 22 des moyens chimiques le matériel de reproduction afin de le rendre résistant à l'action cytotoxique des produits chimiques utilisés en agriculture. Il ne s'agissait donc pas d'une variété végétale exclue de la brevetabilité par l'article 53b56. Cette décision limite ainsi la portée de l'exclusion à ce qui est protégeable par la convention UPOV.

Il est possible de noter aussi que the Board of Appeals and Interferences57 avait déjà indiqué par une interprétation restrictive, que le Plant Variety Patent Act (PVPA) et le Plant Patent Act (PPA) ne limitaient pas implicitement les possibilités de l'article 101 de la loi américaine (une loi ne pouvant s'interpréter que par rapport aux mots qu'elle contient et non en fonction de ce qu'elle aurait pu contenir) en précisant que la notion de variété végétale ne peut couvrir tous les végétaux58.

La Chambre de recours technique, dans l'affaire Lubrizol 159, le 10 novembre 1988, confirma les principes retenus dans la décision « Matériels de reproduction des végétaux/Ciba Geigy » en précisant fondamentalement l'exclusion de la brevetabilité des procédés « essentiellement biologiques » : « Comme toute exception à une règle générale de cet ordre, l'exclusion des procédés « essentiellement biologiques » d'obtention des végétaux doit être interprétée limitative-Page 23ment »60. Cette décision Lubrizol, s'inscrivant dans la lignée de la jurisprudence « Ciba Geigy » a ainsi permis aux innovations biotechnologiques de se développer dans le monde végétal par le biais de revendications portant sur des végétaux et ce, sans tomber sous le coup de l'exclusion de l'article 53b de la CBE.

Par la suite, l'OEB délivra le 29 mars 1989 le premier brevet pour une plante issue du génie génétique. Le brevet Lubrizol Genetics ou « Expression de gène végétal61 » porte sur une technique de transformation génétique de végétaux mettant en oeuvre la bactérie Agrobacterium tumefaciens et couvre non seulement le procédé, mais aussi les plantes produites à l'aide de celui-ci. Ce brevet couvre donc une méthode d'insertion de gènes végétaux ainsi que les cellules obtenues et les plantes dérivées. La technique revendiquée est appliquée à la luzerne, mais n'importe quelle plante qui pourrait être modifiée de la sorte, serait protégeable par le brevet.

Ainsi, l'invention ne se limite pas à une variété végétale, ce qui aurait amené à une confrontation entre le droit des brevets et des obtentions végétales et se serait soldé par la stricte application de l'article 53b de la CBE si le breveté avait revendiqué une variété végétale en tant que telle. Ici, la notion se situe à un niveau taxonomique62 très supérieur à celui des variétés végétales. Cette décision rappelle ainsi, (comme l'affaire Ciba Geigy) le principe que l'article 53b de la CBE ne peut être lu que comme excluant les variétés végétales en tant que telles, sans possibilité d'atteindre les revendications visant des groupes de plantes plus larges, sans quoi les inventions de ce type ne pourraient pas être protégeables ni par certificat d'obtention, ni par brevet.

Cette décision est surtout intéressante par rapport à certains arguments, exprimés par les opposants voulant défendre la nature, s'appuyant sur l'exceptionPage 24 d'ordre public et des bonnes moeurs appliquée à la biologie moléculaire des plantes. Sur ce point, la division d'opposition rappela le principe général d'interprétation stricte des exceptions à la brevetabilité.

Puis, en réponse à l'idée d'un libre accès aux ressources génétiques végétales en tant qu'héritage commun de l'humanité, et la nécessité d'un partage des bénéfices provenant de ces ressources tenant compte des intérêts des pays en développement, elle indique que le droit des brevets en tant que tel, s'oppose à toute tentative d'appropriation indue d'une partie de l'héritage commun de l'humanité.

En revanche, tout nouveau gène développé de manière technique ne fait pas partie des ressources génétiques végétales constituant...

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