La responsabilité notariale à la croisée du classicisme et de l'atypisme

AuteurPhilippe Pierre
Pages14-17

Par Philippe PIERRE, Professeur à l'Université de Rennes 1 Directeur de l'IODE (UMR CNRS 6262)

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Al'heure où, on le sait, il est parfois question de remettre en cause le statut actuel de la profession notariale, la solidité de celle-ci ne se mesure-t-elle pas aussi à la façon particulièrement réactive dont est traitée l'insatisfaction de la clientèle ?1 Nulle autre organisation professionnelle n'a su développer avec autant d'efficacité ces instances de « déjudiciarisation » d'un contentieux en germe que sont les Comités Techniques Régionaux. Nulle autre profession n'a su instaurer, en aval des litiges cette fois avérés, l'articulation subtile, conçue pour le plus grand profit des clients, entre l'assurance collective de responsabilité et la caisse de garantie. Et l'on concevrait mal qu'une telle structure puisse être étendue ipso facto aux sinistres affectant une profession unique du droit...

Ceci posé, la présentation de la responsabilité notariale expose celui qui s'y aventure à envisager une responsabilité professionnelle. D'aucuns souhaitent au demeurant qu'elle soit reconnue comme telle, voire dotée d'un corps de règles autonomes en consacrant la spécificité, ce qui fut il y a quelque temps le cas des professions de santé (loi nº 2002-303 du 4 mars 2002). Dans l'expectative d'une telle évolution, se présente à l'analyse une responsabilité qui n'est pas imperméable aux règles civiles ordinaires, ne serait-ce que parce qu'elle évolue sous l'ombrelle de l'article 1382 du Code civil. Cette incidence du jus commune sur la responsabilité notariale, qui constituera la première partie de notre présentation, n'est toutefois qu'une facette du thème. Pour être influencée par le droit commun, la responsabilité notariale ne saurait cependant être fondue dans le creuset des seuls principes généraux, sa singularité faisant l'objet de notre deuxième propos.

I - L'incidence du droit commun sur la responsabilité notariale

Les exemples d'une telle influence foisonnent, qu'il s'agisse de les rechercher sur le plan du droit légiféré (A) ou prétorien (B).

A - L'incidence du droit commun légiféré

Un contentieux récurrent, voire emblématique même s'il est statistiquement limité, questionne sur le fondement juridique de la responsabilité notariale. On le sait, celle-ci s'inscrit par principe sous l'égide de l'article 1382 du Code civil, et non, sauf quelques exceptions, au titre de la responsabilité contractuelle, voire de la responsabilité pour manquement aux règles de la gestion d'affaires. L'explication en est connue : la qualité d'officier public du notaire imprime à son activité un sceau statutaire, donc légal, et son action se place sous la tutelle de l'autorité publique, laquelle absorbe toute idée de représentation contractuelle de ses clients ou de gestion spontanée des affaires d'autrui 2 . A dire vrai, moins que le principe, les limites éventuelles de cette responsabilité statutaire, par voie de conséquence légale et délictuelle, peuvent interpeller. De longue date, l'article 1382 du Code civil est non seulement déclaré applicable à la mission d'authentification des actes et aux diligences qui en découlent - leur enregistrement, leur publication, leur conservation... - mais aussi au devoir de conseil perçu comme contribuant à la validité et l'efficacité de ces actes. Plus précisément, un arrêt largement commenté du 12 avril 2005 a considéré que relève de la responsabilité délictuelle du notaire l'inexécution des obligations qui « constituent le prolongement de sa mission de rédacteur d'actes » 3 . Toutefois, cette décision de la Cour de cassation, qui statuait sur le défaut d'établissement d'un acte d'affectation hypothécaire censé se substituer à un nantissement garantissant un prêt dressé par acte notarié, a précisément retenu qu'il y avait là constitution d'une obligation contractuelle vis à vis du client, Page 15 probablement en exécution d'un mandat. Si l'affirmation d'une responsabilité contractuelle du notaire mandataire, liée à la prise ou au renouvellement de sûretés, se retrouve dans d'autres décisions 4 , la solution suscite en l'espèce une certaine perplexité, la garantie substituée ayant vocation, comme celle d'origine, à concourir à l'efficacité du prêt authentique.

Pour autant, l'arrêt précité interpelle surtout par son enjeu, d'ordre légal, car il s'est agi en l'occurrence de soumettre le notaire poursuivi à une prescription trentenaire et non décennale... En vérité, le jeu de cette prescription constitue le véritable gisement du contentieux portant sur le type de responsabilité encourue. A cet égard, la loi nº 2008-561 du 17 juin 2008 réformant la prescription civile, va fort heureusement unifier les responsabilités concernées, pour les soumettre à un délai de principe de cinq ans, hormis le cas des dommages corporels dont on admettra volontiers qu'ils ne concernent que bien marginalement l'activité notariale! (C. civ., art. 2224 nouv., applicable en cette matière à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, s'agissant d'une réduction de la durée de la prescription). Pareille évolution est bienvenue. Ce raccourcissement général est incontestablement bénéfique, car le temps de 2008 n'est plus celui de 1804, et parce que disparaîtront enfin les distorsions de responsabilité qui peuvent affecter les différents professionnels susceptibles de concourir à une opération complexe, à l'instar d'un montage immobilier impliquant, outre le notaire, tel avocat, expert-comptable, agent immobilier ou autre intermédiaire... La loi nouvelle supprimera-t-elle, en tarissant ses enjeux, le contentieux parfois irritant que provoque le fondement de la responsabilité notariale ? Ceci serait hautement souhaitable, et d'autant plus envisageable que les différences subsistanteschoix du tribunal compétent, obligation in solidum en cas de pluralité de responsables,absence de mise en demeure... - sont au final bien minces 5 . Sauf à quitter le champ de la loi pour en revenir à des interrogations secrétées par la jurisprudence elle-même.

B - L'incidence de principes prétoriens

De fait, si l'on persiste dans cette mise en perspective de la responsabilité notariale, vient ici en débat ce tout dernier arrêt de la Cour de cassation, en date du 13 mars 2008. Il s'agissait certes de statuer en matière contractuelle, et à propos d'un contrat de transport, mais la Cour régulatrice use d'une formule générale que rien n'autorise, en l'état, à cantonner aux circonstances de l'espèce. De fait, selon l'attendu principal de la décision, « la faute de la victime, à condition de présenter le caractère de la force majeure, ne peut jamais emporter qu'exonération totale » 6 . Or, lorsque l'on en revient à la responsabilité notariale, il apparaît que l'attention apportée à la faute de la victime est bien souvent le...

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