Cautionnement par acte authentique et responsabilité du notaire

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Par Cristina Corgas-Bernard, Maître de conférences, Université du Maine

Al'instar de nombreux professionnels, le notaire s'expose fréquemment à des poursuites motivées par sa défaillance dans l'instrumentation des actes. Plusieurs décisions jurisprudentielles remarquées ont trait au droit des sûretés en général, au droit du cautionnement en particulier (1) .

En droit suisse, le législateur a fait de l'intervention du notaire un obligation pour les cautionnements souscrits par des personnes physiques au-delà d'un certain montant (2) . Cette obligation peut paraître opportune car le cautionnement est un acte critique et les devoirs qui pèsent sur les officiers publics constituent un moyen utile de pallier ces dangers. Malgré certaines revendications en ce sens, le législateur français n'a pas suivi cette initiative transalpine, « peut-être par crainte de voir le cautionnement ainsi solennisé progressivement délaissé au profit de la solidarité ou de la garantie indépendante » (3) . Le cautionnement demeure un acte consensuel, même si ce principe souffre d'exceptions de plus en plus nombreuses. Le recours au cautionnement authentique s'avérera utile en pratique pour contourner un formalisme légal, qui prohibe la souscription de certaines formes de cautionnement par acte sous seing privé. Ainsi aux termes de l'article L. 313-7 du Code de la consommation, le cautionnement par acte sous seing privé d'une opération de crédit mobilier ou immobilier consenti par une personne physique, qu'il soit simple ou solidaire, est nécessairement limité dans son montant et dans sa durée. Partant, le cautionnement d'une durée indéterminée ou d'un montant illimité ne peut être conclu que par acte authentique. Une logique similaire innerve les articles L. 341-2 et suivants du code de la consommation, avec cette réserve que l'article L. 341-5 proscrit les cautionnements solidaires d'un montant indéterminé, la clause de solidarité étant réputée non écrite. L'intérêt de recourir à une telle garantie, même par acte notarié, est limité d'autant (4) .

En dehors de ces contraintes, le cautionnement épouse régulièrement la forme notariée, ainsi qu'en atteste l'importance du contentieux (5) . Le cautionnement authentique est susceptible d'apparaître de deux manières distinctes. L'acte notarié peut être consacré en son entier à cette opération juridique. Plus couramment, le cautionnement est apposé au bas du contrat principal, lui-même rédigé en la forme notariée. La jurisprudence ne paraît pas discriminer ces deux situations, soumises à un régime analogue.

D'aucuns prédisent que le développement de l'acte authentique électronique est susceptible de renforcer la place du notaire dans la société française et d'accroître le nombre d'actes notariés. Cette évolution de la société n'aura cependant qu'une incidence modeste pour les sûretés dans la mesure où le législateur excepte du principe de l'équivalence de l'écrit électronique et de l'écrit papier, les sûretés personnelles ou réelles, qu'elles soient civiles ou commerciales, à moins qu'elles soient conclues par une personne pour les besoins de sa profession (6) . L'intérêt du cautionnement authentique doit être recherché dans d'autres directions. En premier lieu, le cautionnement est aujourd'hui un contrat au régime complexe, soumis à une réglementation foisonnante, qui puise à diverses sources. Les articles 2228 et suivants du Code civil n'épuisent pas à eux seuls le régime du cautionnement. Ils constituent le droit commun. Celui-ci est agrémenté de plusieurs régimes spéciaux, auxquels il faut ajouter une jurisprudence qui n'hésite pas à interpréter les textes Page 5 en conformité avec les objectifs qu'elle se fixe. Le détournement de l'article 1326 du code civil en est un exemple idoine. L'émergence d'une exigence de proportionnalité entre les revenus de la caution et son engagement fournit une illustration plus récente. La conciliation des intérêts des parties en présence sous-tend les évolutions majeures du droit cautionnement. Plusieurs tendances se profilent, les unes plutôt favorables à la caution, les autres davantage bienveillantes pour les créanciers. « Il existe ainsi une grande diversité de cautionnements soumis à des règles distinctes. Une telle balkanisation du cautionnement présente plus d'inconvénients que d'avantages. La règle applicable est souvent difficile à déterminer. L'articulation entre le droit commun et les régimes spéciaux est sou- vent elle-même problématique » (7) . Un profane trouvera difficilement ses repères et saisira malaisément la pertinence du contrat qu'il souscrit. L'assistance du notaire s'avèrera profitable. En second lieu, le contenu du caution- nement authentique se trouve allégé par rapport à celui du cautionnement conclu par acte sous seing privé. L'entremise de l'officier public prémunit les parties contre les risques de nullité de l'acte pour non respect d'un formalisme vétilleux et dont l'opportunité est discutable. Enfin, dans le prolongement de l'idée précédente, l'intervention du notaire renforce la sécurité juridique de l'opération. La valeur probante singulière, le caractère exécutoire attaché à l'acte notarié et sa date certaine sont des atouts incontestés.

En corollaire de cette sécurité, le notaire assume des devoirs, dont la méconnaissance est source éventuelle de responsabilité. Les parties lui reprocheront la nullité ou l'inefficacité du cautionnement en raison soit d'un contenu ou d'une forme insuffisante, soit d'un manque de diligence de sa part. L'examen de la jurisprudence permet d'avancer la conclusion suivante : si les fautes susceptibles d'être reprochées au notaire sont variées, la condam- nation de ce professionnel n'est pas toujours prononcée. Cette assertion, a priori contradictoire, assoit sa logique dans les règles de la responsabilité civile. Nous tâcherons d'étayer cette proposition en envisageant dans un premier temps une responsabilité potentiellement étendue (I) et dans un second temps, une responsabilité concrètement limitée (II).

I- Une responsabilité potentiellement étendue

Les fautes susceptibles d'être imputées à l'officier public, chargé d'instrumenter l'acte de cautionnement, sont nombreuses. Elles s'articulent autour des obligations traditionnellement mises à la charge de ce professionnel. Ces devoirs s'expriment singulièrement dans l'opération de cautionnement. Le devoir d'authentification impose à l'officier public de veiller scrupuleusement au contenu du cautionnement (A) ; l'obligation de conseil implique une vigilance accrue sur les intérêts respectifs des parties (B).

A- L'exigence d'un contrôle scrupuleux du contenu du cautionnement

Le devoir d'authentification du notaire lui enjoint de s'assurer non seulement de la validité du cautionnement, mais également de son efficacité. La jurisprudence en adopte une conception large. Ce devoir a été étendu au mandat sous seing privé de se porter caution.

Le cautionnement authentique doit remplir toutes les conditions légales de validité, les conditions de fond de tout acte juridique, comme les conditions de forme énoncées par le décret nº 71-941 du 26 novembre 1971. Ces conditions s'apprécient au jour de la rédaction de l'acte (8) . Le notaire doit particulièrement veiller à ce que l'acte soit dûment signé par les parties (9) . Lorsqu'un gérant de société intervient à la fois en tant que représentant de la société débitrice et en tant que caution, une double signature n'est pas utile. L'indication de la double qualité de la partie suffit (10) . Ces deux qualités doivent clairement apparaître, la seule mention « pour la société » ne satisfaisant pas à cette exigence (11) .

Certains cautionnements se particularisent par la définition légale d'un contenu obligatoire, un formalisme ad validitatem. S'inspirant de la jurisprudence qui a érigé la mention de l'article 1326 du Code civil en condition de validité du cautionnement afin de prémunir les cautions contre des engagements irréfléchis, le législateur a accru le formalisme de ce contrat. Pas moins de cinq textes subordonnent la validité du cautionnement à la rédaction de mentions personnelles : les articles L. 313-7, L. 313-8, L. 341-2, L. 341-3 du Code de la consommation et l'article 22- 1 de la loi du 6 juillet 1989. L'application de ces dispositions au cautionnement authentique a divisé la doctrine et inquiété les praticiens. Dès les années quatre-vingt-dix, la jurisprudence a décidé que le cautionnement authentique ne relève pas du domaine d'application de l'article 1326 du Code civil. Le 24 février 2004, la première Page 6 Chambre civile de la Cour de cassation a clairement jugé que les articles L. 313-7 et L. 313-8 du code de la consommation ne concernaient pas le cautionnement notarié (12) . Ces décisions doivent être approuvées. En premier lieu, elles se réclament d'une interprétation littérale. L'article L. 313-7, de même que l'article 1326 du code civil, ne visent expressément que l'acte sous seing privé. L'article L. 313-8 du Code de la consommation ne contient pas une telle précision. Les commentateurs ont stigmatisé une inadvertance rédactionnelle (13) . Les travaux préparatoires attestent de la volonté du législateur de conférer un domaine d'application similaire à ces deux dispositions. « On ne comprendrait pas que la loi s'en remettre au devoir de conseil du notaire pour ouvrir les yeux de la caution sur la portée du cautionnement, et non sur les conséquences du caractère solidaire de celui-ci » (14) . En second lieu, la ratio legis abonde dans ce sens. Quoique l'on puisse exprimer un certain...

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