Les contrats d'exploitation des droits de brevets d'invention des personnes chargées d'un service public

AuteurCatherine Blaizot-Hazard
Occupation de l'auteurMaître de conférences des universités, chargée de mission auprès de l'Institut de France
Pages59-80

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Poussées, en ce domaine, par les nécessités de la compétition économique internationale qui génèrent recherche et valorisation de celle-ci, le recours des personnes publiques au procédé contractuel s'est considérablement développé tout au long du XXe siècle91.

Le contrat général de valorisation des résultats de la recherche est celui par lequel une licence d'exploitation est concédée par un breveté.

Les licences sont accordées par voie contractuelle. Tel est, du moins, le principe. Il existe cependant des procédures de licences imposées, dans lesquelles le licencié est désigné par un acte unilatéral de la puissance publique, qui permettent de sanctionner un défaut d'exploitation, en faisant prévaloir l'intérêt général lié à l'exploitation d'une invention brevetée, pour laquelle un monopole d'exploitation a été conféré92. Dans ces hypothèses, le contrat entre le breveté et le licencié ne peut intervenir que pour la fixation des redevances. À défaut d'accord amiable, le tribunal de grande instance (TGI) sera compétent pour intervenir93. Il ne s'agit donc pas d'un contrat d'exploitation d'un brevet d'invention proprement dit.

Des contrats de licence d'exploitation de brevet d'invention sont donc très fréquemment conclus.

Qu'en est-il pour des contrats passés dans le cadre de la gestion d'un service public, et, le plus souvent, par des personnes publiques ? Le droit s'en est-il préoccupé ? Obéissent-ils à un régime propre, présentent-ils quelques caractéristiques communes ou renvoient-ils aux contrats nommés sans particularité aucune ?

À première vue, les contrats de brevets passés par les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public ne présentent pas de particularité.

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Néanmoins, une étude précise du régime applicable à ces contrats permet de distinguer deux caractéristiques par rapport aux contrats passés entre personnes privées.

Le premier point montre une différence sensible quant à la détermination des parties contractantes. En effet, de par l'implication prépondérante des personnes publiques dans la recherche, l'identité des parties au contrat et leur qualité (breveté ou licencié) sera, dans un grand nombre de cas, largement prédéterminée, par des contrats administratifs passés en amont de la phase d'exploitation.

Le second point est, en quelque sorte, inverse, dans la mesure où on observe un alignement des contrats de licence passés par les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public, sur le modèle des contrats de licence passés entre personnes privées, alors que le droit administratif, qui les encadre, devrait conduire à des solutions différentes. Notamment, le règlement des contentieux en matière de contrats de licence d'exploitation présente, au regard du droit administratif, deux modalités dérogatoires, d'une part en permettant le recours à l'arbitrage, d'autre part en confiant le contentieux à l'autorité judiciaire.

1 - Les parties au contrat : un choix encadré par le droit administratif contractuel

Les contrats de licence constituent l'aboutissement d'un processus initié par le souhait d'une personne publique, soit de commander une prestation de recherche, et elles passent alors, dans leur démarche de client, des marchés publics94, soit d'assurer en partenariat une recherche et elles agissent par voie de contrats proprement dits.

Dès lors, le contrat de licence apparaît comme une espèce de " contrat gigogne ", encadré par le droit administratif contractuel qui l'a dores et déjà précédé.

Cette condition de contrat ultime par rapport au processus de recherche et de valorisation, implique le respect d'engagements contractuels souscrits en amont du contrat de licence. Ces engagements contractuels antérieurs déterminent les parties au contrat, leur qualité de breveté ou de licencié et la nature exclusive ou non de la licence consentie.

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Ces traits se retrouvent aussi bien lorsque les parties au contrat de licence sont déterminées par les marchés publics, comme par des contrats administratifs ne répondant pas à la définition des marchés publics.

1.1. Les parties au contrat : un choix encadré par les marchés publics

La définition de la notion de marché public est donnée par l'article 1er du Code des marchés publics (CMP), tel qu'il résulte du décret 2001- 210 du 7 mars 2001 : " Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux avec les personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 2, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de service ".

Les marchés publics ayant pour but l'obtention d'une invention et son exploitation sont les marchés publics de prestations intellectuelles (MPPI).

Ces marchés ont fait l'objet d'un cahier des clauses administratives générales (CCAG), approuvé par le décret 78-1306 du 26 décembre 197895 (CCAG-PI)96.

En dehors des MPPI, les marchés industriels et les marchés de four- nitures courantes et services peuvent contenir des clauses de propriété intellectuelle, mais la passation d'un MPPI constitue la démarche naturelle en matière de recherche appliquée. C'est la raison pour laquelle nous ne retiendrons ici que cette catégorie de marchés97.

Ces marchés publics de prestations intellectuelles présentent deux caractéristiques :

a) L'intuitus personae

En premier lieu, ce type de marché est fortement marqué par l'intuitus personae (cf. art. 5 du CCAG). En effet, ce qui est recherché est la performance intellectuelle du cocontractant (ingénieur, entreprise spécialisée). Cependant, il faut rappeler que les règles de mise en concurrence dans Page 62les marchés publics de prestations intellectuelles (MPPI) sont d'ordre public98. En réalité, il s'agit souvent de marchés négociés, qui doivent rester exceptionnels (art. 18-1 1 CMP pour les prestations complexes ou faisant appel à une technique nouvelle)99.

b) La détermination de la qualité des parties : breveté ou licencié ?

En second lieu, eu égard à leur objet, ces marchés se caractérisent par de nécessaires dispositions sur les droits de propriété intellectuelle100.

Le chapitre IV du CCAG " Utilisation des résultats " est divisé en trois parties correspondant à trois régimes différents, dénommés " options ". Le terme " option " est, cependant, mal choisi puisqu'il évoque un choix possible, alors que la nature de la prestation demandée est prédominante. Il est, cependant, possible d'écarter l'option A qui a trait à des prestations donnant naissance à des droits d'auteur. Il est également à noter que, dans le silence du marché, c'est l'option B qui sera appliquée (art. 19 CCAG).

Au regard de l'obtention des droits, la position de principe des personnes publiques, en tant que client, est de ne pas demander le droit au brevet. Celui-ci appartiendra donc au chercheur ou à l'entreprise de recherche, titulaire du marché.

En revanche, le droit que les personnes publiques veulent, essentiellement, obtenir est celui qui concerne la concession d'une licence d'exploitation pour leurs besoins propres, ou éventuellement ceux de tiers mentionnés au marché.

Option B - Licence d'exploitation
Annexe, art B-24

B-24.1. La personne publique a droit, pour l'usage que lui permet le marché, conformément aux 1 et 2 de l'article B-20, à la concession d'une licence d'exploitation des brevets mentionnés au 1 de l'article B-23, avec possibilité de sous-licence, sous réserve d'en informer le titulaire. Cette concession est gratuite pour les brevets qui ont fait l'objet d'un dépôt après notification du marché, et pour ceux qui ont fait l'objet d'un dépôt pendant la période définie au troisième alinéa du 1 de l'article B-23 et qui n'ont pas été déclarés à la personne publique dans le délai imparti.

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Option C - Licence d'exploitation
Annexe, art C-24

C-24.1. La personne publique a droit, pour l'usage que lui permet le marché, conformément aux 1 et 2 de l'article C-20, à la concession d'une licence d'exploitation des brevets mentionnés au 1 de l'article C-23, avec possibilité de sous-licence, sous réserve d'en informer le titulaire. Cette concession est gratuite pour les brevets qui ont fait l'objet d'un dépôt après notification du marché et pour ceux qui ont fait l'objet d'un dépôt pendant la période définie au troisième alinéa du 1 de l'article C-23 et qui n'ont pas été déclarés à la personne publique dans le délai imparti.

Fondement du droit à la licence et marquant la limite des droits d'exploitation, la notion de besoins propres doit être précisée dans le marché. Le caractère gratuit de la licence est également une constante en matière de MPPI mais aussi, généralement, dès lors que l'entrepreneur de recherche est le bénéficiaire du droit de brevet.

Mais il s'agit ici d'une affaire de négociation au cas par cas, qui dépend des relations entretenues avec le licencié, de l'invention, du territoire concerné, etc. A contrario, si les...

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