De la sanction à la prévention de l’erreur médicale : propositions pour une réduction des événements indésirables liés aux soins

AuteurGeorges David; Claude Sureau
Pages5-28

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Introduction

Les immenses progrès de la médecine, au cours des dernières décennies, se sont en particulier traduits par l'augmentation de la longévité, et plus important encore, par l'augmentation de la longévité sans incapacité. Ils n'ont toutefois pas manqué de susciter au sein de la société un double sentiment: celui d'une attente de plus en plus exigeante quant à l'efficacité des soins quelles que soient la nature et la gravité des affections. Mais aussi celui d'une intolérance croissante à l'égard des risques que peuvent comporter des gestes de plus en plus audacieux. Dans l'esprit du public, les deux, c'est-à-dire l'efficacité et la sécurité, doivent aller de pair. Malheureusement cette concordance ne va pas de soi. C'est même l'inverse auquel il faut s'attendre. D'une part parce que les moyens sont en euxmêmes de plus en plus interventionnistes et donc susceptibles de conséquences nocives, identifiées mais acceptées en raison des avantages attendus. Ce type de risque entre dans la balance bénéfices/inconvénients que le médecin a maintenant l'obligation de soumettre au patient pour étayer la décision de ce dernier. D'autre part, la médecine contemporaine du fait de sa complexité croissante comporte également une augmentation de risques moins bien définissables a priori, répondant de ce fait à diverses dénominations: erreurs médicales, accidents médicaux, défaillances médicales, ou encore événements indésirables. C'est ce dernier terme que nous adopterons parce qu'il a l'avantage d'une neutralité quant à sa causalité. C'est lui, d'ailleurs qui semble de plus en plus s'imposer dans la pratique ou les documents officiels. Il reconnaît que, indépendamment de toute faute, la complexité des soins, surtout en milieu hospitalier peut engendrer des effets non prévus et nocifs.

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Ce deuxième aspect du risque médical n'a pas jusqu'à présent, surtout en France, bénéficié d'une attention suffisante de la part du corps médical et des responsables de la santé publique. Aussi l'Académie nationale de médecine lui at-elle consacré une étude particulière au sein d'un groupe de travail dont la composition (magistrats, universitaires et médecins) marque le souci d'une approche élargie aux multiples dimensions que revêt le sujet. En effet ce type d'événements est susceptible, par les dommages spécifiques qu'il entraîne, de déclencher des actions judiciaires à l'origine de condamnations civiles, voire pénales dont les conséquences en termes d'assurances ont elles-mêmes des retentissements indirects beaucoup plus larges encore.

Dans un premier temps nous examinerons ces conséquences juridiques et les évolutions ouvertes par les dispositions législatives récentes. Nous verrons les avancées importantes qu'elles apportent sous l'angle de la réparation des préjudices. Mais aussi les difficultés nouvelles qu'elles soulèvent sous l'angle de la prévention des événements indésirables.

Pour comprendre le mécanisme des effets indésirables nous les situerons ensuite dans un cadre beaucoup plus large dépassant le domaine médical, pour intéresser bien d'autres activités humaines telles la production industrielle ou les transports 1. Toutes ces activités ont en commun un fonctionnement de plus en plus complexe évoqué sous le terme générique de « fonctionnement systémique » dont nous verrons les spécificités en fonction des domaines considérés, ce qui permettra de dégager les particularités du domaine des soins.

Après avoir mis en évidence la fréquence des défaillances observées dans le secteur hospitalier sur la foi des études épidémiologiques nord-américaines puis désormais françaises, nous aborderons ensuite ce qui est l'objectif majeur du rapport, la prévention de ces défaillances 2. Les deux conditions en sont:

- une connaissance des événements, ce qui pose la question de leur signalement;

- leur analyse, ce qui pose celle des structures appropriées.

Au fur et à mesure de ce cheminement s'imposera progressivement une idée maîtresse: la nécessité d'un changement de comportement des soignants dans leur responsabilité personnelle et collective.

L'ensemble de cette réflexion étaiera une série de recommandations ayant reçu l'approbation de l'Académie nationale de médecine.

Traitement juridique des événements indésirables liés aux soins

Il n'est pas dans notre propos d'analyser dans son ensemble l'historique du traitement juridique des accidents médicaux; quelques étapes notables méritent toutefois d'être rappelées, car elles éclairent singulièrement la situation actuelle.

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Le passé

Avant la Révolution, la responsabilité médicale était fort diversement appréciée; en tout cas jusqu'au xve siècle, seules les fautes intentionnelles résultant du dol, de la malice, de l'intention de nuire apparaissaient légitimer une sanction.

L'époque moderne

Son début remonte à l'affaire Foucault c/Hélie en 1825 3, qui eut son épilogue judiciaire en 1832; il s'agissait d'une amputation, pratiquée in utero, d'un bras et d'un avant-bras d'un enfant, supposé, à tort, mort avant cette intervention, et né vivant; le point intéressant de l'affaire n'a pas trait à son aspect technique (le diagnostic de vie ou de mort fœtale étant à l'époque difficile, sinon impossible, et l'intervention avait de toute façon pour objectif essentiel de préserver la vie de la mère, ce qui fut effectivement le cas), mais aux considérations sociales et juridiques qui l'entourèrent lorsque le tribunal de Domfront confia une mission d'expertise à l'Académie nationale de médecine, récemment instituée. Or celle-ci soutint une thèse qui ne peut aujourd'hui que nous surprendre: celle de l'irresponsabilité civile et plus encore pénale du praticien, fondée sur sa motivation fondamentalement généreuse et altruiste et sur sa compétence considérée comme établie du fait de ses études. Thèse, on s'en doute, énergiquement rejetée par le tribunal, malgré certaines tentatives d'assimiler une telle irresponsabilité à celle de la magistrature et plus généralement à celle de la fonction publique.

L'affaire Guigne c/Thouret-Noroy, en 1832-1833 (amputation d'un membre supérieur à la suite d'une évidente faute médicale) donna au procureur général Dupin l'occasion de préciser les contours et les limites de la responsabilité médicale, en distinguant en particulier l'erreur toujours possible du fait du caractère hautement conjecturel de la médecine et la faute résultant de la désinvolture ou d'une méconnaissance grave de ce que le praticien doit savoir, et que l'expert a pour tâche d'expliquer au juge. Incidemment, le procureur Dupin insistera sur le fait que le magistrat peut être aussi soumis aux rigueurs de la loi pour des fautes commises dans l'exercice de ses responsabilités.

De la responsabilité quasi délictuelle à la responsabilité contractuelle

Jusque là la responsabilité médicale était considérée comme de nature quasi délictuelle et fondée sur les articles 1382-1383 du Code civil; en 1936 (arrêt Mercier-Nicolas du 20 mai 1936), pour des raisons purement conjoncturelles (liées au délai de prescription, trois ans à l'époque, en matière délictuelle), la référence à cet article fut abandonnée pour invoquer l'article 1147 visant les obligations contractuelles, celles-ci étant de prescription trentenaire, autorisant donc plus largement l'indemnisation. Quoi que l'on pense des raisons d'un tel glissement conceptuel qui a orienté depuis cette époque presque toutes les décisions jurisprudentielles, Page 8 et parmi lesquelles on ne peut qu'apprécier la légitimité d'un désir d'indemnisation devant des situations médicales et humaines dramatiques, on doit reconnaître que certains effets pervers sont apparus de ce fait 4. On regrettera par exemple l'invocation excessive du concept de « faute virtuelle, ou présumée », ou de « sécurité de résultat », l'assimilation de l'action médicale à un acte de prestation, voire de louage de service, en un mot le développement d'une certaine forme de « consumérisme médical »; il apparaît finalement que cet arrêt a contribué au développement de l'inflation procédurière en matière médicale, qui atteint son apogée dans les années 1997 à 2000.

Apparition du concept d'aléa

La loi du 4 mars 2002 a considérablement modifié, et amélioré la situation; elle a en effet institué une distinction, que divers organismes: Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), commissions régionales de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI), commission nationale des accidents médicaux (CNAM) sont chargés de déterminer, en général et dans les cas individuels, entre la responsabilité fautive personnelle et celle de la pathologie elle-même ou de l'état du patient, ce que l'on dénomme l'« aléa médical », dont la prise en charge, dans certaines limites, incombe à la responsabilité collective de notre société.

Le progrès est donc évident: il l'est déjà aujourd'hui du point de vue de la justice et de l'équilibre de la société; on peut espérer, très...

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