Majeurs protégés et assurance sur la vie La nouvelle donne de la loi du 5 mars 2007

AuteurPar Philippe PIERRE
Pages20-25

Par Philippe PIERRE, Professeur à l'Université de Rennes I Directeur du Diplôme Supérieur de Notariat

Page 20

L'articulation du droit commun des incapacités et du droit de l'assurance sur la vie n'a jamais été chose aisée. Plusieurs considérations historiques expliquent cet état de fait qui, bien souvent, res- sort de la confrontation plutôt que de la paisible cohabitation. La loi d'assurance, statufiée depuis la loi du 13 juillet 1930 dans la crainte du votum mortis susceptible d'atteindre les personnes vulnérables, fait défense « à toute personne de contracter une assurance en cas de décès sur la tête d'un mineur âgé de moins de douze ans, d'un majeur en tutelle, d'une personne placée dans un établissement psychiatrique d'hospitalisation. Toute assurance contractée en violation de cette prohibition est nulle » (C. ass., art. L. 132-3). Ce qui, pour les personnes concernées, emporte la prohibition de la souscription et de tout le potentiel contractuel subséquent, qu'il s'agisse de constituer une épargne puis d'y accéder, ou d'aménager une clause bénéficiaire stipulée à titre gratuit ou onéreux. Conçue à une époque où l'assurance en cas de mort se déclinait principalement sous la forme d'assurances « temporaires décès » , la disposition précitée se justifiait aisément tant à l'égard de tiers, qu'il fallait écarter de toute spéculation mortifère, que vis à vis des incapables eux-mêmes, dont l'état de minorité ou l'altération mentale excluaient par hypothèse qu'ils puissent faire acte de prévoyance familiale. Seules de timides exceptions, jugées compatibles avec la prévention du vœu de mort, admettaient que l'on puisse assortir un contrat d'assurance en cas de vie d'une « contre assurance » en cas de décès limitée au remboursement des primes, ou que l'on conclue une assurance de survie au profit d'une des personnes protégées en convenant du même remboursement pour le cas du prédécès de cette dernière, formule utile à des parents soucieux de ménager l'avenir de leur enfant handicapé, après leur trépas, tout en réservant un ordre de décès inverse ( C. ass., art. L. 132-3 al. 6 ; V. également, pour l'assurance de groupe, C. ass., art. L. 141-5). La séduction contemporaine des formules dites « d'assurance mixte » de placement, qui associent des prestations en cas de vie et de décès d'un montant équivalent pour le plus grand profit des contractants ou des attributaires, l'utilité de l'affectation en garantie des contrats d'assurance disponibles et bien d'autres raisons encore, contribuaient à la déliquescence des risques aperçus par le législateur de 1930.

La doctrine, comme les praticiens, s'employait avec constance à l'adaptation des dispositions du Code des assurances. Malgré certaines marges d'interprétation découvertes dans l'article L. 132-3 C. ass., une évolution des textes s'imposait, soutenue dernièrement, et ardemment, par le 102ème congrès des notaires de France réuni en 2006 sur le thème des Personnes vulnérables. La réforme de la protection juridique des majeurs par la loi nº 2007-308 du 5 mars 2007 a fourni l'opportunité d'une telle réécriture de la loi d'assurance. Aux termes d'un nouvel article L. 132-3-1 C. ass., qui entrera en vigueur le 1er janvier 2009 :

« Lorsqu'une curatelle ou une tutelle a été ouverte à l'égard du stipulant, la souscription ou le rachat d'un contrat d'assurance sur la vie ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peu- vent être accomplis qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué.

Pour l'application du premier alinéa, lorsque le bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie est le Page 21 curateur ou le tuteur, il est réputé être en opposition d'intérêts avec la personne protégée. L'acceptation du bénéfice d'un contrat d'assurance sur la vie conclu moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la curatelle ou de la tutelle du stipulant peut être annulée sur la seule preuve que l'incapacité était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés ».

L'évocation chronologique du texte permet d'en guider l'analyse depuis la phase de souscription (I) jusqu'à celle d'exécution du contrat d'assurance (II).

I - Phase de souscription du contrat d'assurance
  1. Le nouvel article L. 132-3-1 C. ass. a pour ambition de gouverner le sort du majeur protégé, lorsque celui-ci est à la fois souscripteur et assuré d'un contrat d'assurance sur la vie, quelle qu'en soit la forme (al. 1). Il en résulte que la conclusion d'un contrat d'assurance en cas de vie devra se plier au régime d'autorisation spéciale requis par la loi, là où seul s'imposait jusqu'à présent le lot commun des actes d'administration, et parfois de disposition, accomplis sur le patrimoine du majeur. Ce nouvel état des textes n'est point dénué de paradoxe, si l'on songe que le législateur a été animé, de façon générale, par le désir d'assouplir les règles applicables à cet « instrument de bonne gestion des intérêts patrimoniaux » de la personne vulnérable (H. de Richemont, Rapport au Sénat au nom de la commission des lois, nº 212).

    Lorsque se présente à l'examen une assurance en...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT