La réforme de la protection juridique des majeurs (loi nº2007-308 du 5 mars 2007)

AuteurPar Hugues Fulchiron
Pages4-19

Par Hugues Fulchiron, Doyen de la Faculté de droit, Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur du Centre de droit de la famille

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II Un dispositif rénové

Le législateur de 2007 a procédé à une refonte en profondeur des systèmes de protection des majeurs même s'il est resté dans la logique de la loi de 1968. Son action s'est développée selon deux exigences, à bien des égards complémentaires : assouplir les systèmes de protection pour mieux les adapter aux cas particuliers et offrir à chacun la meilleure protection possible (A) d'une part, renforcer les garanties offertes aux personnes protégées d'autre part (B).

A Assouplir le systême de protection

À cette fin, le législateur a suivi plusieurs voies : il a donné plus de liberté aux intéressés ; il a réaménagé les systèmes de protection ; leurs règles de fonctionnement ont été assouplies.

Donner plus de liberté aux intéressés

L'innovation la plus spectaculaire, et qui suscite d'ores et déjà de nombreux commentaires, est assurément la création du mandat de protection future. Il n'en sera pas question ici puisqu'un article spécifique lui a été consacré dans cette revue (1) . D'autres mesures donnent plus de liberté à la personne protégée pour préparer, au besoin de longue main, sa protection. Ainsi, toute personne peut désigner par acte notarié ou par acte sous seing privé la ou les personnes chargées d'exercer les fonctions de curateur ou de tuteur pour le cas où elle serait placée en curatelle ou en tutelle. Cette nomination « s'impose au juge » (art. 448 al. 1), sauf si la personne désignée refuse la mission, si elle est dans l'impossibilité de l'exercer ou si l'intérêt de la personne protégée commande de l'écarter (art. 448). Le tuteur ou le curateur choisi passe avant le conjoint, le partenaire ou le concubin dans la nouvelle hiérarchie légale (art. 449).

Comme pour le mandat de protection future (cf. art. 477 al. 3), cette possibilité est également offerte aux parents ou au dernier vivant des père et mère qui exercent l'autorité parentale sur leur enfant mineur ou assument la charge matérielle et affective de leur enfant majeur : ils peuvent désigner une ou plusieurs personnes chargées d'exercer les fonctions de curateur ou de tuteur à compter du jour où eux-mêmes décèderont ou ne pourront plus continuer à prendre soin de l'intéressé (art. 448 al. 2). Cette disposition, aussi dérogatoire soit-elle aux principes généraux du droit des incapacités, est opportune : l'angoisse de l'avenir est forte chez les parents d'enfants lourdement handicapés ou atteints de graves troubles psychiatriques ; savoir que la relève sera assurée est de l'intérêt de tous, et au premier chef de la personne protégée. Il convient de souligner que comme pour le mandat de protection future, les parents peuvent user de l'article 448 dès lors qu'ils assurent la charge matérielle et affective de leur enfant : point n'est besoin qu'ils aient mis en place un régime de protection dont ils assureraient la charge. La protection ne jouerait pas en revanche dans l'hypothèse où tutelle ou curatelle aurait été mise en place et un tiers désigné pour en assumer la charge.

La personne qui ne peut plus faire face, seule, aux exigences de la vie juridique peut également désigner un mandataire dont les fonctions commenceront, à la différence du mandat de protection future, Page 5 sans attendre que les facultés mentales soient atteintes (cf. art. 428). Si une sauvegarde de justice est mise en place, le mandat continue en principe à produire effet (art. 436 al. 1).

Réorganiser les régimes de protection judiciaire

- Désignation du tuteur et du curateur. Les règles en ont été actualisées et assouplies. Tuteur et curateur sont désignés par le juge des tutelles. Si un conseil de famille a été constitué, cette nomination lui revient (art. 456 al. 3). Conformément au principe traditionnel selon lequel la protection du majeur est d'abord une charge familiale (principe réaffirmé à l'article 415 al. 3 : la protection des majeurs « est un devoir des familles »), la famille est prioritaire pour la charge de curateur ou de tuteur. Mais, d'une part, la volonté de la personne protégée l'em- porte désormais (cf. art. 449 al. 1 supra), d'autre part, le législateur s'est ouvert aux nouvelles formes de conjugalité : faute de désignation par le majeur à protéger, le juge nomme le partenaire avec qui ce dernier a conclu un Pacs ou son concubin (art. 449 al. 1). Cette désignation (et peu importe que le partenaire ou le concubin soit du même sexe que la personne à protéger ou du sexe opposé), intervient « à moins que la vie commune ait cessé entre eux ou qu'une autre cause empêche de lui confier la mesure ». À défaut, le juge désigne un parent, un allié ou « une personne résidant avec le majeur protégé et entretenant avec lui des liens étroits et stables » (art. 449). Le juge est invité à prendre en considération les sentiments exprimés par la personne protégée, « ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage » (art. 449 al. 3).

Ce n'est qu'à défaut de parent ou de proche que sera nommé un tiers. Ce tiers, désormais appelé « mandataire judiciaire à la protection des majeurs » exerce la tutelle selon les modalités générales prévues par la loi : seul, avec un subrogé tuteur ou avec un conseil de famille. Il doit être inscrit sur une liste de personnes physiques ou morales ayant reçu l'agrément du Préfet après avis du Procureur de la République (cf. art. L. 461-2 CASF).

Selon le nouvel article 451, « si l'intérêt de la personne hébergée ou soignée dans un établissement social ou médico-social le justifie, le juge peut désigner, en qualité de curateur ou de tuteur, une personne ou un service préposé de l'établissement, inscrit sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs au titre du 1º ou du 3º de l'article L. 471-2 CASF, qui exerce ses fonctions dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » . La nouvelle règle est beaucoup plus souple que l'ancienne. Peu importe en effet l'importance du patrimoine de l'intéressé (2) . De plus, le système peut être mis en place dès lors que la personne est hébergée « dans un établissement de santé ou dans un établissement social ou médico-social » (et non plus seulement dans un établissement de traitement). Pourra être nommé une personne ou un service préposé de l'établissement dès lors qu'il est agréé (art. 451 al. 1). La mission du mandataire concerne en principe la protection du patrimoine mais aussi celle de la person- ne, sauf décision contraire du juge. Le maintien de cette possibilité a été discuté : la proximité rend la protection plus efficace, mais on peut craindre des abus souvent dénoncés par le passé.

- Modalités de la tutelle. Afin de ne pas faire dépendre la forme de la tutelle de la personne chargée de la protection, le législateur du 5 mars 2007 a « déconnecté » fonction et régime de protection : nommer le père ou la mère de l'enfant comme tuteur ne conduit pas nécessairement à la mise en place d'une tutelle sous forme d'administration légale ; nommer un tiers n'entraîne plus la mise en place d'une tutelle complète avec conseil de famille et subrogé tuteur.

Surtout, le législateur a souhaité alléger le système : désormais, la tutelle complète avec subrogé tuteur et conseil de famille, lourde à mettre en place et plus encore à faire fonctionner, devrait devenir l'exception.

La loi du 5 mars 2007 prévoit trois modalités de tutelle. En principe, le juge nomme simplement un tuteur, qui exercera ses fonctions sous son contrôle. S'il l'estime nécessaire, il peut désigner à côté du tuteur un subrogé tuteur, parent, allié ou proche et à défaut mandataire judiciaire à la protection des majeurs (art. 454 al. 3). C'est seulement « si les nécessités de la protection de la personne ou la consistance de son patrimoine le justifient et si la Page 6 composition de sa famille et de son entourage le permet » que le juge organisera une tutelle complète avec conseil de famille (art. 456).

- Unicité ou pluralité de tuteurs et de curateurs. En principe, le juge nomme un seul tuteur. Toutefois, « en considération de la situation de la personne protégée, des aptitudes des intéressés et de la consistance du patrimoine à administrer » , le juge peut désigner plusieurs tuteurs ou plusieurs curateurs « pour exercer en commun les mesures de protection » (art. 447 al. 2). « Chaque curateur ou tuteur est réputé, à l'égard des tiers, avoir reçu des autres le pouvoir de faire seul les actes pour lesquels un tuteur n'aurait besoin d'aucune autorisation » (art. 447 al. 2, i.e. les actes d'administration). Plutôt qu'une gestion conjointe, sans doute complexe à mettre en œuvre et qui pourrait dégénérer en tutelles concurrentes, le juge peut préférer « diviser la mesure de protection entre un curateur ou un tuteur chargé de la protection de la personne et un tuteur ou un curateur chargé de la gestion patrimoniale. Il peut aussi confier la gestion de certains biens à un curateur ou à un tuteur adjoint » (art. 447 al. 3). Une telle mesure peut être très utile lorsque la gestion de certains biens suppose des compétences particulières...

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