La tentative d'harmonisation communautaire

AuteurMarie-Catherine Chemtob-Concé
Occupation de l'auteurDocteur en droit de l’université Paris II (Panthéon-Assas), maître de conférences des universités UFR de médecine et pharmacie de Rouen université de Rouen
Pages49-71

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En 1985, le Livre blanc de la Commission sur l'achèvement du marché intérieur justifiait ainsi la nécessité de présenter une proposition de directive : « Les différences au niveau des législations relatives à la propriété intellectuelle ont des répercussions directes et néfastes sur le commerce intracommunautaire et sur la capacité des entreprises à considérer le marché commun comme un environnement unique pour leurs activités économiques » § 145.

L'objectif de la proposition initiale de la Commission adoptée par celle-ci le 21 octobre 1988 était donc de clarifier l'application du droit des brevets aux inventions biotechnologiques au sein de l'Union européenne, dans le but de promouvoir la libre circulation des produits issus des biotechnologies dans le marché commun, conformément aux objectifs du traité de Rome.

Toutefois, le vote de rejet par le Parlement européen du texte arrêté par le Comité de conciliation, a illustré à quel point la dimension éthique avait désormais dépassé les objectifs techniques initiaux de l'initiative communautaire (Section I).

Dans ce contexte d'insécurité juridique persistante au niveau européen en l'absence de directive et face aux enjeux financiers du marché des biotechnologies, la Commission a été amenée à présenter le 13 décembre 1995, une nouvelle proposition intitulée « proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques »150 qui tente d'apporter de nombreuses clarifications et qui, adoptée en juillet 1998, est appelée à produire des effets tant dans l'ordre national, malgré de nombreux retards de transposition, que dans l'ordre international (Section II).

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Section I Les raisons de l'initiative communautaire

Consciente du rôle des brevets dans le développement de la recherche, et de la nécessité d'un rééquilibrage par rapport aux États-Unis et au Japon, l'Europe avait engagé, il y a près de dix ans, un débat sur une première proposition de directive dont l'objectif était de faire évoluer la législation européenne dans le sens d'une harmonisation.

Certes, une jurisprudence permettait la brevetabilité de la matière biologique, mais le système du brevet européen lui-même, qui éclate en autant de brevets nationaux, était la source de disparités au niveau national et donc d'une insécurité juridique pour les entreprises innovantes.

Dans la mesure où la convention de Munich définissait les conditions d'acquisition d'un brevet, mais ne prévoyait pas un exercice de ce droit selon des règles homogènes, il convenait de mettre en place un cadre harmonisé et ceci, d'autant que les techniques avaient, elles aussi, beaucoup évolué.

L'enjeu était tout d'abord économique puisqu'il consistait à permettre le développement des biotechnologies dans le contexte d'un marché unifié et d'éviter une délocalisation des investissements vers des pays concurrents plus propices à favoriser la protection de telles inventions.

Il était en effet essentiel que l'Union européenne se dote d'un outil juridique efficace permettant aux centres de recherches, qu'il s'agisse de l'industrie ou du monde de la recherche académique publique ou privée, de protéger les résultats issus de leurs recherches. Les investissements financiers de plus en plus lourds dans ce domaine ne pourront être envisagés par les centres de recherche que dans la mesure où une protection des résultats, permettant un retour sur investissements, par l'octroi notamment de licences existera et sera efficace151.

L'enjeu fut également juridique, car il était dangereux de laisser les inventions biotechnologiques sans statut juridique communautaire, alors que les dispositions concernant un futur brevet communautaire n'ont pas été finalisées152. L'absence de statut communautaire, s'accompagnant d'une insécurité juridique dangereuse, présentait en effet un double risque :

- d'une part, que les États membres de l'Union décident individuellement du type de protection possible et des éventuelles exclusions à la brevetabilité (c'est le cas de la France, avec l'une des lois sur la bioéthique de juillet 1994)153 et promulguent des lois susceptibles de se révéler a poste-Page 51riori en contradiction avec un texte communautaire appelé à prévaloir sur le texte national154 ;

- d'autre part, que l'OEB, actuellement assez généreux en matière de délivrance de brevets concernant des éléments issus du corps humain (cas de la relaxine humaine par exemple) change radicalement d'attitude si l'on se réfère notamment aux décisions récentes, notamment la décision G3/95 rendue par la Chambre de recours technique de l'OEB le 27 novembre 1995, dans l'affaire « Plant genetic systems » qui, ne permettait plus la délivrance de brevet européen couvrant des plantes ou des animaux transgéniques155. En effet, la chambre de recours technique de l'OEB avait dans sa décision T 356/93 du 21 février 1995 donné une interprétation extensive de l'article 53b : « une revendication de plante génétiquement modifiée » dans la mesure où elle englobe des variétés végétales n'est pas admissible (exclusion de la brevetabilité)156.

Enfin, l'enjeu était de santé publique, dans la mesure où il s'agissait de répondre aux attentes de millions de patients notamment européens, pour lesquels les avancées des biotechnologies dans le domaine de la santé sont particulièrement ressenties, et de préserver ceux-ci du risque de dépendance de l'Europe liée à l'absence de compétitivité de l'industrie européenne.

Pour ces diverses raisons, la Commission adopta, le 21 octobre 1988, une proposition de directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques157.

Fondamentalement, la proposition de 1988 constatait une série de problèmes particuliers liés à l'interprétation de certaines notions classiques du droit des brevets, devant dorénavant s'appliquer à la matière biologique contenant une information génétique et ayant la caractéristique d'être autoreproductible ou reproductible dans un système biologique. En d'autres termes, il s'agissait de savoir comment traiter la matière animée par rapport à la matière inanimée.

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La proposition de 1988 se présentait donc sous un jour technique. Il s'agissait de clarifier l'application du droit des brevets aux inventions biotechnologiques, afin de favoriser la libre circulation des produits biotechnologiques, des investissements dans la recherche et le développement de produits et de procédés biotechnologiques nouveaux. Elle renfermait une série de définitions et de règles d'interprétation visant à bien préciser ce qui serait brevetable ou non et à résoudre les problèmes de démarcation qui opposent le droit des brevets et le droit des obtentions végétales. La proposition contenait aussi des dispositions qui auraient dû amener les Offices de brevets à suivre une pratique de délivrance uniforme et conduire à une jurisprudence nationale uniforme. Enfin, l'étendue de la protection conférée par un brevet sur une invention biotechnologique était déterminée.

La base juridique utilisée fut l'article 100A du traité CE (devenu article 95 suite à la nouvelle codification du traité d'Amsterdam). Cet article renvoyait à la procédure de codécision visée à l'article 189b du traité CE.

Conformément à cette procédure, la proposition initiale de la Commission158 a été publiée en 1989.

Toutefois, sous la pression de groupes politiques159 au Parlement et notamment des « Verts », un certain nombre d'amendements ont été apportés à la proposition de directive visant à prendre en compte la dimension éthique des inventions biotechnologiques.

L'avis du Parlement européen en première lecture a été donné le 29 octobre 1992160. Il proposait 46 amendements161. La Commission accepta totalement ou partiellement 27 des 46 amendements votés par le Parlement européen et adopta une proposition modifiée de directive le 16 décembre 1992162.

Toutefois, en deuxième lecture, le Parlement européen adopta trois nouveaux amendements. Ces amendements votés par le Parlement en seconde lecture ont donné lieu à des discussions avec la Commission et le Conseil qui, tout en reconnaissant la nécessité d'inclure des dispositions à caractère éthique, n'ont accepté que partiellement les modifications souhaitées par le Parlement.

En effet, le 19 septembre 1994, le Conseil a refusé ces amendements et a dû appliquer, conformément au traité de Rome, la procédure de conciliation afin d'aboutir à l'adoption d'un compromis (de projet commun) par un Comité dePage 53 conciliation réunissant les membres du Conseil et autant de représentants du Parlement163.

La Commission participa aux travaux du Comité de conciliation en prenant toutes les initiatives nécessaires en vue de promouvoir un rapprochement.

Mais des divergences ont persisté concernant principalement trois points :

- les problèmes de la brevetabilité des animaux et plus précisément la délimitation claire de la frontière entre découverte (non brevetable) et invention (protégeable par un brevet) dans le domaine du vivant ;

- l'exclusion de la brevetabilité des « procédés de...

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